Petrochallengers, du mur à la rue: La production alternative de l’information en Haïti
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Petrochallengers, du mur à la rue: La production alternative de l’information en Haïti

Septembre 2018 – Des centaines de manifestants pacifiques défilent dans la commune côtière de Léogane, exigeant que tous ceux qui ont participé à la dilapidation des fonds « Petrocaribe » en rendent compte. Photo: Réseau de presse haïtien.


 

L’article qui suit se concentre surtout sur le rôle des réseaux sociaux dans la mobilisation des jeunes haïtiens autour des problèmes politiques de la société haïtienne. Ainsi, j’essayerai de montrer que l’initiative du mouvement Petrochallenger est surtout issu de la jeunesse qui est souvent considérée hors-jeu de la crise politique haïtienne. Ensuite, je présenterai le mouvement comme un mouvement sans-leader avant de plancher sur le caractère transnational de ce mouvement qui mobilise des Haïtiens de la diaspora qui hésite pas à prendre les rues dans la diaspora pour demander des explications sur la gestion des fonds alloués à des projets de développement en Haïti. 

Le 14 août 2018, le Cinéaste haïtien Gilbert Mirambeau avec une pancarte en main et les yeux bandés a fait un Tweet qui allait devenir viral sur les réseaux sociaux : kot kòb Petrokaribe ? (Où est passé l’argent du PetroCaribe ?). Partagée et reprise par des artistes, des jeunes et d’autres personnalités de la vie politique haïtienne à travers des postes sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter et Instagram), cette question à elle-seule allait mobiliser le peuple haïtien en Haïti et dans la diaspora autour de la gestion des fonds prêtés par le Venezuela depuis 2008 évalués à plus de 3 milliards d’euros, dans le cadre du Programme PetroCaribe basé sur les achats de produits pétroliers à des conditions de paiement préférentielles.

Dans les rues de la capitale haïtienne, des banderoles, des pancartes et des billboards reprenaient le hashtag du cinéaste Mirambeau et mobilisaient toute la population haïtienne autour de cette question. Dans un article publié le 25 août 2018 par le journal haïtien en ligne Alterpresse, soit 11 jours après le début du mouvement, le rappeur Valckensy Dessin dit K-Libr qui a donné une meilleure visibilité à ce mouvement sur les réseaux sociaux tenait à préciser que ce mouvement ne sera pas récupéré par un secteur de la vie nationale. « La jeunesse, à partir de ce mouvement, décide, désormais, de prendre ses responsabilités dans les affaires du pays, car le mouvement est appelé à grandir pour aborder toutes les questions d’intérêt national.»1

Dans un entretien accordé à Stéphanie Schuler pour la Radio France Internationale (RFI),2 le cinéaste Gilbert Mirambeau est revenu sur son Tweet en soulignant qu’il visait d’abord la jeunesse haïtienne quand il a mis sa photo sur Twitter :

« Je voulais envoyer un message demandant à la justice (d’Haïti, ndlr) qu’elle tranche de manière impartiale sur cette affaire (des fonds dilapidés du programme PetroCaribe). Si on ne fait que continuer ainsi, alors on aura encore des corrompus à l’issue des prochaines élections. Donc je voulais envoyer un clin d’œil, surtout à l’adresse de la jeunesse, pour qu’elle se dise : on ne veut pas continuer comme ça. Ça fait trop longtemps, 20 ans, 30 ans, 50 ans qu’il n’y a que des corrompus. Donc c’était ça l’idée. » (Mirambeau, 8 aout 2018, RFI).

Quelle est la place des médias dans la mobilisation aujourd’hui à l’ère des TIC? Comment les médias alternatifs participent-ils à rendre visibles une partie de la population qui était toujours mis hors-jeu au?

Dans un article en 2015 ayant pour titre « Médias et mouvements sociaux : pratiques de mobilisations collectives », Normand Landry et al. s’intéressent au caractère politique des technologies médiatiques soulignant du cours les usages militants de ces technologies qui offrent des opportunités incommensurables et inédites en matière de mobilisation. Selon ces auteurs :

« Ces usages militants s’insèrent dans une tradition séculaire favorisant la production, la transmission et la diffusion de l’information par-delà les distances, les contrôles politiques et les contraintes temporelles. Ces usages militants, mais aussi l’attention médiatique et scientifique considérable accordée à ces derniers  (Shade & Landry, 2012), s’inscrivent dans le contexte de la découverte progressive des opportunités inédites qu’elles offrent en matière de mobilisation collective » (Normand Landry et al 2015 :215).

Ce qu’offre l’Internet pour tous ceux qui veulent mobiliser autour d’une cause commune est l’instantanéité de la mobilisation, l’interaction en temps réel, l’engagement quotidien et affectif Constituent à la fois des atouts et des obstacles susceptibles de peser sur le cours des choses (Daniel Bonvoisin : 2017). Pour le sociologue Dominique Cardon, grâce à Internet, le public s’est émancipé : « Il prend la parole sans qu’on le lui demande. Il s’expose sans vergogne pour créer de nouveaux liens sociaux. Il produit des connaissances sans s’en remettre à d’autres. Il définit lui-même les sujets dont il veut débattre. Il s’organise.» (Cardon, 2010 :111) Cette vision enthousiaste a trouvé dans les mouvements récents des illustrations spectaculaires comme l’a expliqué Bonvoisin dans son article les enjeux liés à l’usage de Facebook pour les mobilisations sociales.

Le professeur de Sociologie à SciencesPo, Dominique Cardon développe, dans son dernier ouvrage Culture Numérique (février 2019), les caractéristiques des mouvements sociaux aujourd’hui. Selon lui, les mouvements sociaux aujourd’hui sont traversés par trois caractéristiques (singularité des individus, délégitimation de toutes procédures qui pourraient faire émerger des figures de leader et l’absence de programme). Il existe aujourd’hui, selon Cardon (228), « un glissement du NOUS au JE » qui constitue un approfondissement des logiques d’individualisation portés par internet […] (Cardon, 2019 :228-229). Notre présentation se situe spécifiquement dans cette dernière approche théorique développée par Dominique Cardon, même si on ne va pas oublier les apports des autres auteurs traitant la question des mouvements sociaux à l’ère du numérique.

Venons à l’analyse du mouvement Petrochallengers qui a démarré en août 2018 avec le Tweet du Cinéaste Gilbert Mirambeau. Pour ne pas nous diriger dans toutes les directions, nous allons analyser trois caractéristiques de ce mouvement :

 

La jeunesse, un contre-public subalterne
La première chose que les Petrochallengers ont montré, c’est qu’ils peuvent organiser un mouvement et mobiliser la population haïtienne sans pour autant démarrer leur lutte par les médias traditionnels pour faire entendre leurs revendications. L’internet, avec sa capacité mobilisatrice à travers ces dispositifs techniques, permet à des jeunes un peu partout dans le pays de se réunir en ligne en formant une communauté virtuelle (Serge Proulx, 2006 🙂 pour une cause commune. Dans le cas de ce mouvement PetroCaribeChallenge, les Petrochallengers ont su profiter des opportunités qu’offrent comme les dispositifs numériques pour faire entendre leur voix sur les réseaux sociaux (Facebook, Twitter, Instagram, etc.) qui sont des médias alternatifs pour se faire entendre et pour fixer des rendez-vous à la rue. Aujourd’hui, on commence à identifier les Petrochallengers qui se regroupent au sein du collectif NOUPAPÒMI qui a été formé peu de temps après le début de ce mouvement.3

De cette forme de revendication, on commence à voir émerger certaines têtes qui se présentent de plus en plus dans les médias traditionnels pour porter un discours sur les principales revendications des Petrochallengers. Les Petrochallengers alternent aujourd’hui entre les médias traditionnels et les médias alternatifs. Seulement dans le cadre de l’émission de Davidson Saint-Fort sur la télévision Caraïbes (chaîne 22), quatre Petrochallengers parmi les plus visibles dans ce mouvement ont été invités à cette émission.

  • Le 15 Novembre 2018, Armand Joseph (Pourquoi la jeunesse doit-elle nécessairement engager ?)
  • 10 janvier 2019, James Beltis (Comment le mouvement PetroCaribechallengers évoluera-t-il ?)
  • 17 Janvier 2019, Pascal Solage, (diagnostique d’un mal social à juguler)
  • Février 2019, Andy John W. Antoine (L’engagement des jeunes dans les mouvements sociaux : l’enjeu de la manipulation).

A l’ère des réseaux socio-numériques, les jeunes utilisent de plus en plus les outils techniques dans la « la production alternative de l’information » qui débouche selon Granjon et Denouël sur le déplacement de la frontière tout en faisant exister des arènes d’information de commentaires et de discussions qui défient les monopoles de définition et de classement de ce qui doit être connu et débattu. Des jeunes qui étaient pendant longtemps « hors-jeu » de la situation politique du pays se mettre en scène via les réseaux sociaux d’abord pour exiger que la lumière soit faite sur la gestion du fonds PetroCaribe.

Ainsi, les dispositifs numériques comme Twitter, Facebook, Instagram ou autres médias socio-numériques participent, selon Fabien Granjon, aux dynamiques de production de publics, de contenues et de soi dont l’enchevêtrement caractérise les activités de ceux qui, ni professionnels de l’information, ni « militants », se mobilisent afin de rendre visibles et publics des énoncés qu’ils estiment importants (Denouël et Granjon : 167). « De leurs initiatives émergent les espaces publics dont la portée première est peut-être de remettre en cause les cloisonnements sociaux qui cadrent habituellement l’accès aux lieux dominants de l’expression citoyenne » (Idem).

Ce que Remy Rieffel a bien compris lorsqu’il souligne que « les médias numériques permettent ainsi de faire entendre dans l’espace public des voix et des points de vue souvent marginalisés ou peu audibles dans les médias traditionnels et, dans cette perspective, révèlent les défaillances du système représentatif actuel a véritablement capter les attentes et préoccupations profondes de la population. Ils favorisent l’émergence d’un nouveau format de la parole politique, d’une citoyenneté vécue par les individus eux-mêmes, loin des modes de délégation ordinaire du pouvoir ou des échanges institutionnels habituels » (Rieffel, 2014 :249).

Car, certains jeunes haïtiens qui ont investi l’espace internet et aujourd’hui la rue pour porter une parole politique n’ont pas l’habitude de s’exprimer dans les médias traditionnels, parce qu’ils étaient effectivement marginalisés et parce que leur parole n’avait jusque-là aucune valeur. Avec ce mouvement, on a une jeunesse qui est plus écoutée et qui participe à une multiplication de l’expression citoyenne à la fois dans les médias traditionnels et dans les médias alternatifs.

C’est ce projet que la jeunesse haïtienne tente de porter dans le cadre de ce mouvement qui est devenu aujourd’hui plus structuré par cette jeunesse qui trouve un moyen de faire entendre leur voix via les médias alternatifs qui deviennent un contre-public subalterne dans le sens de Nancy Fraser. Ces jeunes utilisent un discours non formalisés et plus satirique lorsqu’on regarde la page personnel de certains Petrochallengers qui se mettent en scène lorsqu’ils participent à des manifestations dans le pays ou lorsqu’ils veulent faire passer un message concernant ce mouvement qui montre qu’on est en présence d’une jeunesse consciente des enjeux qui pèsent sur leur tête. Cette idée de contre-public subalterne favorise du coup cette forme de communication horizontale qui consiste à dire que c’est un mouvement sans leader.

Petrochallengers, un mouvement sans leader
Dans son intervention sur une télévision haïtienne, chaine 20 en février 2019, l’une des figures du mouvement PetroCaribeChallenge, Emmanuela Douyon, tenait à préciser que le mouvement Petrochallengers n’a pas de leader et que ce mouvement est basé, dit-elle, sur une structure horizontale. Selon elle, le mouvement n’est pas réservé à un groupe particulier, mais il y a des principes à respecter pour être reconnu par les petrochallengers et pour prendre la parole au nom des Petrochallengers. La force de ce mouvement réside comme on peut bien le comprendre dans l’euphémisation (voire l’abandon) des hiérarchies formelles (délégation limitée, minoration du leadership, etc). Il n’y a pas de porte-parole désigné. Tous les manifestants sont des porte-paroles et portent tous un discours commun à savoir exiger que tous ceux qui ont participé à la dilapidation des fonds « Petrocaribe » puissent en rendre compte.

Selon Cardon, « le refus de designer un porte-parole qui parlerait au nom du groupe et la méfiance vis-à-vis de tout effet de notoriété est une constante de ces mouvements (Cardon, 2019 :230). La page Facebook NouPapDòmi créée peu de temps après le début de ce mouvement s’inscrit dans logique de ces nouvelles formes de mobilisation à l’ère du numérique. Les initiateurs de cette page décident de rester dans l’anonymat préférant s’effacer derrière la coordination numérique.

Dans une vidéo partagée le 23 février 2019 sur la page Facebook de NOUPAPÒMI, le Petrochallenger James Beltis explique qu’il n’existe aucuns principes stricts régissant l’affiliation ou non des jeunes du pays et de la diaspora à ce mouvement. Dans cette vidéo de moins d’une minute où l’on interroge ce « sociologue militant » sur les critères à remplir pour être petrochallengers, il a déclaré :

« Les Petrochallengers sont tous ceux qui participent à des mouvements sociaux et à des sit-in pour demander des comptes sur la gestion du fonds PetroCaribe. Un petrochallengers c’est quelqu’un qui écrit et qui partage ces commentaires sur le fonds Petrocaribe. C’est quelqu’un qui challenge le pouvoir, le système pour que la lumière soit faite sur la gestion de cet argent » (Beltis, 23 février 2019).


Vue aérienne de la capitale haïtienne, Port-au-Prince.
Photo: UN News.


 

Granjon (2017) explique de son côté qu’il existe aujourd’hui une nouvelle culture politique permettant « d’acculturer une frange de la jeunesse non politisée à l’engagement et à un militantisme en réseau dont l’internet a porté les formes organisationnelles de façon assez naturelles (idem). Il eut à dire que « Cette modalité contestataire relativement inédite s’est notamment construite sur le désir d’une jeunesse cultivée à la recherche de territoires culturels dont les accès leur étaient rendus difficiles, voire parfois impossibles » (Granjon : 2017).

S’il est vrai que la mobilisation en ligne qui a favorisé cette révolte citoyenne n’a pas pris naissance dans un espace physique, elle a toutefois permis la construction d’un espace public fait de représentations symboliques en ligne et d’engagements sur le terrain là où la jeunesse connectée a pu rencontrer les gros des classes populaires qui ne se trouvaient pas sur Facebook et sur Twitter. Entre les sit-in et manifestation des rues dans tout le pays et l’indexation de Jovenel Moise, chef de l’État dans le rapport du PetroCaribe de la CSC/CA, la jeunesse haïtienne et les autres militants politiques trouvent d’autres raisons pour maintenir la mobilisation et exiger que lumière soit faite sur la gestion du fonds PetroCaribe.

A côté des médias traditionnels qui deviennent de plus ouverts à cette parole portée par une jeunesse mobilisée et connectée, les médias numériques favorisent du coup une pluralisation de l’expression citoyenne dans la sphère publique. Pour Cardon, la nouveauté de ces mouvements sans-leader fait apparaitre un autre caractère des mouvements qui ont pour point de départ les réseaux sociaux numériques. Selon lui, « se cacher tous derrière le même masque, c’est manifester l’Egalite de tous et c’est renouer avec la culture politique des hackers » (cardon, 2019-231). Avec l’Internet, les mouvements sociaux passent à une autre échelle. Ces mouvements offrent la possibilité à des gens vivant en dehors de leur pays d’origine de se mobiliser dans la diaspora pour porter une revendication qu’ils jugent justes.

Challenge Petrocaribe, une mobilisation transnationale
L’autre particularité du mouvement PetroCaribe, contrairement aux autres mouvements traditionnels, c’est qu’il s’agit d’une mobilisation qui a bénéficié d’une solidarité au-delà des frontières nationales. Grâce à l’Internet et à l’immédiateté de la diffusion et de la réception de l’information, les Haïtiens de la diaspora sont au courant de tout ce qui se passe en Haïti en temps réel. On assiste aujourd’hui à un élargissement de l’empathie des publics susceptibles de se mobiliser pour cette cause via des évènements comme PetroCaribeChallenge.

Dans le cadre du mouvement PetroCaribeChallenge, l’usage des réseaux sociaux numériques a -je dirais- un double effet au niveau de la réception :

  • Dans un premier temps, la mobilisation des petrochallengers touche un public plus large qui investit les réseaux socio-numériques dans les dix départements du pays. Il se crée depuis le début de ce mouvement, pour paraphraser le sociologue des médias, Serge Proulx, une communauté virtuelle qui se fait prendre en photo dans tout le pays avec une pancarte avec le Hastag Où est l’argent du PetroCaribe ?
  • Deuxième effet de ce mouvement PetroCaribechallengers est sa diffusion au niveau international. On assiste depuis environ deux décennies « à la construction d’un espace discursif symbolique et revendicatif transnational (Carlos Agudelo, 2006) qui permet à des migrants de tous les coins du monde de participer à la vie politique de leur pays d’origine. Les Haïtiens de la diaspora ne sont pas en reste. En effet, le mouvement PetroCaribeChallenge est un mouvement à caractère transnational dans la mesure où des Haïtiens se trouvant un peu partout à travers le monde se mobilisent sur les réseaux sociaux et dans les rues autour d’une cause qu’ils embrassent comme tous les autres petrochallengers qui sont en Haïti.

Une fois que ce mouvement ait pris son envol, des jeunes haïtiens de tous les pays du monde dont le Canada, les États-Unis ou encore la France voulaient participer à ce challenge et décidaient de suivre les différentes phases de cette lutte pour que la lumière soit faite sur l’utilisation de cet argent qui était censé utilisé pour la réalisation des projets de développement dans tout le pays.

En France par exemple, cette prise de conscience a été l’initiative de certains Haïtiens de France qui ont décidé de créer une page Facebook pour lancer une première manifestation. Une idée qui a vite été appropriée par des dizaines d’Haïtiens vivant en Europe qui ont voulu participer à cette première manifestation à Paris dans le cadre de ce mouvement PetroCaribe. Si en Haïti, la première grande manifestation a eu lieu le 17 octobre qui est un jour férié ici, les Petrochallengers d’Europe avaient organisé leur manifestation à Paris un dimanche 14 octobre avec la participation des Haïtiens venus de Londres et d’autres villes de France. Ils ont récidivé en organisant une deuxième manifestation à Paris en suivant les mots d’ordre donnés par les autres Petrochallengers depuis Haïti. Cette fois-ci devant le Consulat d’Haïti à Paris. La manifestation de ce mouvement transnational à Paris n’était pas différente de ce qui s’est passé au Canada et aux États-Unis.

La question des mouvements sociaux à l’échelle globale a été traitée par Arjun Appadurai (2005) quand il a montré que des migrants jouent aujourd’hui un rôle important à l’ère des médias électroniques dans le devenir de leur pays d’origine. Le médiascape qu’il a développé dans son ouvrage « Après le colonialisme : 2005 » en reprenant les écrits de Benedict Anderson sur la communauté imaginée permet de mieux analyser « les phénomènes de cristallisation et de réfraction des luttes à l’échelon global » (Olivier Blondeau : 241). Dans son effort de comprendre l’importance du public diasporique dans la mobilisation transnationale à l’ère des TIC, Appadurai avait pris l’exemple de plusieurs pays qui s’ouvrent dorénavant leur espace sur un « discours transnational » où des individus se trouvant à divers endroits de la planète peuvent prendre position ou même participer à distance sur des sujets qui concernent leur pays d’origine grâce des « connexions multiples au sein d’une sphère publique plus large de la diaspora » (Appadurai, 2005 :59).

Ainsi, il explique que face à un État-moderne qui cherche constamment à redéfinir l’ensemble des règles de voisinage sous le signe de ses formes d’allégeance ou d’affiliation, apparaissent de nouvelles formes de voisinages virtuels électroniques qui produisent de nouvelles formes de localité » (Appadurai :246-273). « Ces voisinages sont alors des communautés ou des groupes identifiés qui se caractérisent par leur actualité spatiale ou virtuelle et leur potentiel de de reproduction sociale (Blondeau : 242).

Quelques réserves sur le rôle de l’Internet dans la publicisation de ces mouvements
Loin de toute forme de déterminisme technologique, je veux surtout signaler que l’affaire PetroCaribe n’est pas le produit des réseaux sociaux. S’il est vrai que les dispositifs techniques ont participé à produire un pluralisme d’expression sur cette affaire en mobilisant la jeunesse du pays et les Haïtiens de la diaspora à se mobiliser pour réclamer une explication sur la gestion de cet argent, le mouvement lancé en aout 2018 par les Petrochallengers est l’aboutissement d’une situation difficile que connaissait le pays depuis juillet avec d’abord l’augmentation du prix de l’essence et d’autres faits comme la dépréciation de la gourde, la vie chère et la faiblesse du pouvoir d’achat de la masse qui s’affaiblit au jour le jour.

En ce sens, je dirais que le mouvement des Petrochallengers est la goutte d’eau qui a fait renverser la vase dans un pays où la jeunesse du pays s’est livrée à elle-même. Le mouvement PetroCaribe a fait émerger un autre public avec l’engagement politique de cette jeunesse qui a toujours été mis hors-jeu dans le débat public. Avec l’internet, la jeunesse haïtienne trouve en les réseaux sociaux un espace qui est d’abord virtuel où leur « Je » compte avant de se donner rendez-vous dans les rues pour la matérialisation de leur engament citoyen.

Un enjeu majeur de ce mouvement est son accaparement par des politiciens traditionnels qui, profitant du mouvement de la jeunesse haïtienne pour faire leur ce mouvement de protestation avec d’autres visés que ceux exprimés par cette jeunesse haïtienne non politisée au départ. Car, durant les tous premiers mois de ce mouvement, la jeunesse haïtienne était claire par rapport aux objectifs de ce mouvement : les jeunes du pays voulaient une meilleure explication de la gestion de ce fonds. Cependant, les politiciens et certains militants politiques qui voulaient accaparer ce mouvement demandaient la tête du président Jovenel Moise.

Cependant, si les petrochallengers ne sont pas tous appartenus à des partis politiques, il ne faut pas être dupe de penser que ce sont des jeunes qui n’ont aucun ancrage politique qui se lance dans ce mouvement PetroCaribeChallenge. A côté de certains qui sont déjà impliqués directement dans certains partis politiques, les Petrochallengers sont pour la grande majorité des jeunes qui remplissent un ensemble de conditions pour devenir des acteurs politiques en Haïti. C’est le constat de Dominique Cardon (2013) dans un article publié en 2013 lorsqu’il a souligné que « les acteurs de ces nouvelles formes de mobilisation ne sortent pas de nulle part et ont acquis des savoir-faire en participant à certains collectifs militants » (Cardon, 2013). Il argumente en disant que :

« Toute montre, par exemple, le rôle décisif du capital culturel et des expériences internationales dans la socialisation des acteurs engagés dans ces mobilisations. Aussi, individualisée soit-elles, les mobilisations éclair sur internet, à partir des pages Facebook, font, elles aussi, apparaitre la place décisive parmi les participants des étudiants, des diplômés, et des populations d’intermittents et d’intérimaires subissant les effets du décalage entre leur situation professionnelle et les aspirations que leur ont conférées leurs titres scolaires » (ibidem).

Certains des Petrochallengers qui ont pris la parole sur la toile ou dans les médias, ils se font appeler « militant », « sociologue militant » ou encore « petrochallengers engagés ». Et parmi eux, certains avaient l’habitude de prendre part à des mouvements politiques ou d’autres formes de protestation dans le pays lorsqu’ils étaient étudiants. Ce sont souvent des étudiants ou diplômés qui, subissant les effets du décalage entre leur situation professionnelle et les aspirations qui se présentent comme Petrochallengers. D’autres, s’ils travaillent, ne se sentent pas surtout capables de bien planifier leur avenir dans un pays comme Haïti. Ne voulant pas quitter le pays pour aller s’installer ailleurs, ces jeunes se sentent davantage concernés par le destin de leur pays. Ainsi, il serait un peu imprudent de penser que les petrochallengers viennent de nulle part.

Dans le cadre du mouvement PetroCaribeChallenge, on se retrouve face à « la production alternative de l’information » qui débouche selon Granjon et Denouël sur le déplacement de la frontière tout en faisant exister des arènes d’information de commentaires et de discussions qui défient les monopoles de définition et de classement de ce qui doit être connu et débattu. Des jeunes qui étaient pendant longtemps « hors-jeu » de la situation politique du pays se mettre en sc&eg

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