02 Aug 2021 Audiences radio : « C’est une sorte de krach »
Par Fiona Moghaddam
La radio a perdu 300 000 auditeurs et auditrices depuis fin 2020, plus de deux millions par rapport à l’an passé d’après les derniers chiffres de Médiamétrie. Du jamais vu, en partie dû à la pandémie de Covid-19 mais pas seulement. Entretien avec Frédéric Brulhatour, de La Lettre Pro de la Radio.
En France, plus de deux millions d’auditeurs et d’auditrices de moins en un an. Le média radio enregistre une perte, historique, de son audience. La crise sanitaire est passée par là et les habitudes du public bouleversées. La radio n’en reste pas moins un média fort, avec 40,1 millions d’auditeurs quotidiens sur la période janvier-mars 2021, d’après les derniers résultats de Médiamétrie. Explications de cette baisse sans précédent avec Frédéric Brulhatour, rédacteur en chef de La Lettre Pro de la Radio et associé des éditions H/F.
Une telle baisse en une année, est-ce déjà arrivé ?
Une baisse aussi spectaculaire, de mémoire, je ne pense pas que ce soit déjà arrivé. 2,145 millions d’auditeurs de moins, c’est une sorte de krach, je crois que l’on peut utiliser ce terme. La baisse de l’audience cumulée de la radio s’est amorcée au début des années 2010, précisément en 2012. Depuis cette date, l’audience est sur une tendance baissière.
En ce début d’année, on note un fort décrochage de l’audience qui s’explique principalement par la crise sanitaire, ou plutôt par ses conséquences : c’est-à-dire les confinements successifs et le télétravail. Ils ont modifié brusquement les comportements d’écoute, en réduisant considérablement la mobilité des auditeurs. La mobilité est l’essence de la radio.
L’arrêt du monde culturel a aussi eu des effets dramatiques. Avec l’arrivée du Covid-19 et les confinements, les manifestations, que ce soit de grands concerts ou des concours de belote, se sont arrêtées. En conséquence, des grilles de radio, notamment locales, se sont considérablement appauvries, faute d’événements festifs, culturels ou tout simplement faute de proximité à couvrir. Depuis mars 2020, cette proximité s’est seulement incarnée autour du Covid-19, un sujet très anxiogène. Cet appauvrissement éditorial a indirectement impacté les audiences car il impacte d’abord l’intérêt d’écoute. Si la promesse n’est plus tenue, l’auditeur décroche.
Et depuis une décennie maintenant, les Français sont extrêmement sollicités. Il y a plus de chaînes de télévision, plus de radios, plus de flux audio, de podcasts, de réseaux sociaux, de séries. Cela oblige l’auditeur à faire des choix. Alors on entrerait vraisemblablement dans une sorte de nouvelle ère, celle du tassement et du morcellement quasi-naturel des audiences car les nouveaux outils développés sur le web tenteront toujours et à chaque instant de capter l’attention des auditeurs.
Pourtant, la radio reste un média fort… Comment cela s’explique-t-il ?
Oui elle reste un média puissant, elle est toujours au-dessus du seuil symbolique des 40 millions d’auditeurs. Mais si cette tendance baissière venait à durer, je pense que la radio passerait sous cette barre symbolique des 40 millions. Ce sera peut-être en juin, au mieux en décembre mais je ne pense pas que cela s’arrête.
C’est l’immédiateté, le média de la mobilité et une facilité d’utilisation. Puis la radio est anonyme, quand vous l’écoutez, on ne sait pas qui est derrière son récepteur – au même titre qu’on ne sait pas à quoi ressemble celui qui parle au micro… Puis il y a la gratuité de service. Vous pouvez l’écouter simplement, quand vous en avez envie, quand vous en avez besoin. C’est le média de l’immédiateté : en très peu de temps, il est possible de mettre en ondes une information, il faut beaucoup plus de temps pour la télévision, encore plus pour la presse écrite.
La radio a encore de sérieux atouts même si elle a de la concurrence directe ces dernières années, avec l’arrivée d’internet et surtout du haut débit. La 4G et bientôt la 5G bousculent le marché. Car désormais, il existe une autre manière d’écouter la radio : en direct, en replay, écouter un flux sans pub, découvrir un podcast. Ces nouveaux outils rappellent que la radio n’est plus seule sur ce marché de l’immédiateté qui la caractérisait.
Il existe une pléthore de contenus audio disponibles aujourd’hui, notamment des podcasts. Cela « nuit »-il à la radio ?
Directement non. Mais ce qui a changé ces dernières années, c’est que l’auditeur a la capacité immédiate de choisir ce qu’il a envie d’écouter, où et quand il en a envie.
En période de confinement, l’audio digital a complètement explosé. On parle en dizaines de millions d’écoutes, voire pour certains mois de milliard en ce qui concerne les connexions sur les sites et les applications dans leur globalité. Cela montre l’appétence, l’appétit des auditeurs, même en période de confinement quand il y a moins de mobilité. Si l’on n’écoute pas la radio le matin pendant le confinement, on va écouter autre chose, d’une autre manière, sur un autre support. Cela peut-être un podcast, un flux musical sans publicité… L’auditeur a gagné en liberté ces dernières années.
Les radios écoutent-elles encore leurs auditeurs et leurs envies ?
La problématique de la radio aujourd’hui est celle de la publicité. Sur 60 minutes, les stations privées consacrent 15 minutes strictement à la publicité. Selon moi, 15 minutes, cela suffit pour encourager l’auditeur à déguerpir et finalement à rendre une programmation assez indigeste. La solution serait sans doute de réduire les volumes de publicité en augmentant les prix pour trouver un équilibre. Les régies publicitaires devraient aussi réfléchir à de nouvelles formes publicitaires pour l’antenne. Les radios commerciales privées sont davantage à la peine parce qu’il y a cette problématique de la publicité. Il y a aussi une problématique liée aux quotas : certaines radios seraient dans l’impossibilité de tenir leurs promesses musicales. Et finalement, l’auditeur a parfois tout intérêt à se connecter à un flux audio qui propose une musique sans quota et sans publicité. C’est un peu plus appétissant.
Comment voyez-vous l’avenir de la radio ? Pourrait-il ne plus y avoir d’auditeurs un jour ?
Mathématiquement, l’audience pourrait descendre jusqu’à zéro mais très franchement je ne pense pas que cela arrive. Il y a plus de 40 millions d’auditeurs qui écoutent la radio quotidiennement, cela reste, quoi qu’on en dise, un média puissant. Aucun média ne peut rivaliser. Il y a actuellement une secousse mais je pense que la radio va se relever. Elle doit toutefois se ressaisir. Cela peut être en cherchant des réponses dans son ADN, dans ce qui a fait son succès. Désormais, elle n’est plus la seule à assurer le tempo. Elle n’est plus seule sur le marché de l’immédiateté ou plutôt de l’instantanéité.
La radio doit se réinventer, remettre l’humain au centre du processus créatif, aussi bien dans le traitement journalistique, que celui de l’animation. Si la radio a fonctionné, c’est parce qu’il y avait des femmes et des hommes qui avaient un réel savoir-faire. Il faut sans doute aussi replacer l’auditeur au centre du processus, l’accompagner davantage, tout en continuant à instaurer une notion de confiance, de crédibilité. La radio a encore de belles années à vivre. Elle fête son centenaire en 2021, c’est aussi le 40e anniversaire de la FM. Il y a toujours une émulation, la radio fait toujours rêver. Peut-être un peu moins les jeunes générations mais il y a toujours un public de curieux, c’est plutôt bon signe.
Source : France culture
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