19 Nov 2020 Covid-19 : Le déchainement des crises
Par KPALLA Mathilde
Le 11 mars 2020, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) déclarait de pandémie la maladie de trouble respiratoire à coronavirus, Covid-19 Déjà le 06 mars 2020, le Togo a déclaré son 1er cas de contamination et le 28 mars, son premier décès, à l’instar de plusieurs autres pays africains et du monde entier. Toute la planète se retrouve ainsi face à une crise sanitaire dont les effets pervers ont rapidement affecté tous les secteurs de la vie plongeant tous les pays dans des lendemains sans précédent, pleins d’incertitudes.
La crise sanitaire à corona virus s’installe et embrase tous les pays, et il faut prendre des dispositions pour y faire face. Dans cette lutte contre la pandémie, tous les pays ne disposent pas des mêmes armes : certains pays sont plus démunis que d’autres. La précarité des systèmes de santé, la fragilité des infrastructures, le niveau de vie très faible et la vulnérabilité des populations sont autant de facteurs défavorables surtout pour les Etats africains qui semblent presque tous logés à la même enseigne. Et comme si cela ne suffisait pas, les mesures barrières décrétées par l’OMS comme le meilleur remède, à défaut de vaccin, ont complètement bouleversé les habitudes du vécu quotidien avec les contraintes du confinement et de fermeture des frontières.
Le semblant du vivre en communauté, qui donnait encore un peu d’humanité à ce monde devenu individualiste égoïste et capitaliste, s’est effrité, renforçant l’isolement, le repli sur soi…. L’interdiction de rassemblements, la quarantaine pour les cas suspects… Bref, la distanciation, un concept incompatible avec la culture africaine, où l’on va saluer et aider les malades ou enterrer ses défunts avec faste, a façonné un nouveau mode de vie dans laquelle chacun perd ses repères. Donc, de crise sanitaire, la pandémie du Covid-19 a basculé nos sociétés dans une crise sociétale. Ecoles fermées, marchés et sites de divertissement clos, lieux de cultes sous scellés, visites familiales sous contrôle…. la société cherche vainement à se réinventer.
Confinés à la maison, les parents se confrontent à des enfants à gérer seuls. Et les failles de l’éducation apparaissent. La responsabilité ou l’irresponsabilité des uns et des autres se dévoile.
A la crise éducationnelle, s’en suit la baisse des activités économiques, Le monde vit au ralenti : frontières terrestres et aériennes sont fermées l’emploi est au ralenti. La crise économique se profile avec la réduction des échanges commerciaux et la baisse des productions. Du coup, la pénurie des biens de consommation attise la spéculation, fragilisant davantage les plus démunis acculés dans leurs derniers retranchements. Conséquences du capitalisme néolibéral, dans des sociétés encore fragiles !
Désorienté, tout le monde « se met à parler », proférant plus des contre-vérités, comme pour conjurer le mauvais sort. Les professionnels des médias et de la communication n’ont jamais mis autant d’énergie à lutter contre la désinformation et à sensibiliser, professant à longueur de journée le vrai de l’ivraie. La communication n’a jamais été autant sollicitée. Crise de l’information, crise communicationnelle.
Quelle attitude adopter ?
Dans la plupart des pays africains, l’attitude fut et est encore pour certains de se réfugier dans le déni, la négligence, ou alors l’égoïsme. On a l’impression que les périodes de crise ramènent l’homme à son état sauvage. D’autres personnes sont encore dans la théorie du complot. Pendant ce temps, le nombre des cas de contamination augmente même si au Togo, la situation est encore contrôlable en comparaison à d’autres pays de l’occident. Il faut sensibiliser, informer, déconstruire. Et pour cette dernière action, la tâche est ardue, les réseaux sociaux sont devenus incontrôlables, les « Fake news » assaillent de partout. L’outil technologique essentiel s’est brusquement mis au service de « l’ennemi invisible ». Le partage viral de fausses informations sur les plates-formes mérite d’être contrôlé.
Un cas d’école, qui interroge sur les risques que présente l’exercice de la liberté d’expression dans le contexte de crise sanitaire. En effet tout le monde, a trouvé dans les réseaux sociaux les places publiques rêvées pour échanger, confronter leurs points de vue comme cela n’avait jamais été possible auparavant.
Selon Phillipe Mouron :
« De ce point de vue, les réseaux sociaux remplissent correctement leur mission démocratique en donnant une parfaite égalité d’accès à des moyens de communication des idées et informations et c’est pourquoi le débat est nécessairement pollué par les mécanismes de manipulation qui ont pu prospérer dans ces services. Pour autant, n’est-ce pas là la fin ultime de cette liberté fondamentale ? Les informations qualifiées de « fausses » ne doivent-elle pas être acceptées comme un élément à part entière du débat ? Leur diffusion ne participerait-elle pas du débat d’intérêt général et de la vie démocratique ? Les réponses à apporter à ces questions sont essentielles pour cerner la nécessité des limites qui peuvent être apportées à la liberté d’expression pendant cette période de crise sanitaire. »1
Les idées divergent quant aux mécanismes de lutte contre la manipulation de l’information en cette période de crise. La liberté d’expression peut-elle subir des restrictions au titre de la santé ? Ceci ne remettrait-il pas en cause un droit fondamental que garantit, l’article 19 de la déclaration Universelle des droits de l’homme ?
Phillipe Mouron pense qu’il vaut mieux préconiser des mécanismes alternatifs comme :
«La nécessité d’une certaine réactivité face au caractère exponentiel que la diffusion de contenus sur les réseaux sociaux. » il suggère aussi « le recours à des systèmes d’autorégulation et de co-régulation qui pourraient à ce titre révéler une certaine efficacité dans la lutte contre la manipulation de l’information relative au corona virus. ».
Il conclut en disant : « …..il apparait que la lutte contre la manipulation de l’information ne saurait être déléguée à un seul acteur. De façon générale, aucune instance, dans un régime démocratique, ne peut s’ériger en tribunal de la vérité. La distinction entre le « vrai » et le « faux » ne saurait être confiée exclusivement ni au pouvoir législatif, ni au pouvoir exécutif, ni aux tribunaux ni aux opérateurs de plateformes, ni aux journalistes, ni aux experts et aux chercheurs en médecine, ni aux citoyens. Elle implique une régulation multiple qui met en cause l’ensemble de ces acteurs. Telle une Hyde de Lerne, l’information se diffuse désormais par plusieurs canaux placés sur un pied d’égalité. Ceux-ci ne doivent ni se concurrencer, ni converger mais s’équilibrer les uns les autres en recoupant les points de vue ».2
Sur le plan éducationnel, selon le rapport mondial de suivi sur l’éducation (GEM) 2020 de l’UNESCO du 23 Juin : « 40% des pays les plus pauvres n’ont pas réussi à assurer un accès à l’éducation pour tous pendant la crise du covid 19. Cette exclusion est encore plus forte quand on examine les disparités qui sont dues aux questions d’origine, d’identité et de capacité ».
Sur cette question d’éducation, les réflexions sont profondes, et les plates-formes s’en donnent à cœur joie. La remise en question des histoires des peuples, les dénis ou les contrevérités. La crise identitaire qui s’accentue. Le phénomène « Black Lives Matter » qui se renforce, des statues et des symboles qui tombent.
Autres crises mises en lumière par la Covid-19 : Crise spirituelle, crise psychologique. Certaines populations, au Togo par exemple et presque partout ailleurs en Afrique subsaharienne, ont toujours su transcender leurs problèmes, souffrances et autres au travers de leur foi, par une confiance en un Dieu qui peut tout. Et dans le cas d’espèce d’un Dieu qui peut les exempter de la maladie, il n’est pas question de respecter les mesures barrières pour prévenir la maladie, mais prier simplement. Mais les Eglises sont fermées. Alors pour y arriver, les réseaux sociaux, les plates-formes sont mis à contribution, bien utiles cette fois-ci, il faut faire intervenir des pasteurs, des médecins, des psychosociologues. Car au-delà de la maladie elle-même, la psychose reste un sérieux problème auquel les populations font face.
Un monde à réinventer peut-être…
La maladie à corona virus a la particularité de révéler les insuffisances des systèmes mis en place depuis des décennies sur tous les plans. Il est clair que la crise est révélatrice des inégalités sociales. Certes, le virus rappelle aux riches comme aux pauvres, leur finitude en tant qu’humain, mais n’est-il pas plus facile de se protéger si l’on est riche ?
C’est un ainsi qu’un problème de santé a mis à mal tout un système, contredisant ainsi toute la logique régissant ce capitalisme à outrance que les sociétés, surtout celles africaines subissent depuis longtemps. Une société consumériste folle.
La plupart des sociologues sont unanimes sur le fait que cette pandémie laissera des traces. L’humanité devra questionner ou questionne déjà ses habitudes de vie, de consommation mais aussi ses systèmes mis en place qui privilégient l’individu au détriment d’une vie solidaire et sociale efficace.
Certes, le tableau passe du noir au gris foncé, pour dire que, même si le pire n’est pas encore tout à fait passé, l’espoir est permis. Mais que va-t-il se passer une fois la pandémie terminée ? Un effondrement où un monde meilleur à inventer ? Notre monde peut-il changer ? Pour devenir plus juste, égalitaire, plus humanitaire ? Et si rien ne se passait, les faits sont têtus.
L’espoir est qu’au sortir de cette crise, il soit situé la responsabilité de chacun et de tous, une prise de conscience que le matérialisme excessif a rendu insensibles et aveugles tant de gens aux valeurs du vivre ensemble, telles : l’amitié, la solidarité, l’honnêteté, la justice et l’amour. Un matérialisme qui a également conduit à une pression excessive sur la nature et entrainé des déséquilibres croissants dans notre société. ν
Notes
1. Coronavirus et fausses informations. Les ales de la liberté d’expression en période de crise sanitaire, par Philippe Mouron, Revuedif.com
2. Coronavirus et fausses informations. Les ales de la liberté d’expression en période de crise sanitaire, par Philippe Mouron, Revuedif.com
Mme KPALLA Mathilde est journaliste avec une longue expérience en production radio, actuellement Directrice des programmes d’une radio confessionnelle au Togo. Elle est engagée dans la communication pour le changement social et le développement. Elle est Membre de la WACC.
Photo: Kwame Amo/Shutterstock
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