L’avenir du protestantisme à l’ère numérique
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L’avenir du protestantisme à l’ère numérique


Le protestantisme est né avec l’imprimerie, va-t-il mourir avec internet?

Il est vrai qu’on lie souvent presse et Réforme, tant il est vrai que cette invention a joué un rôle primordial dans la diffusion des idées nouvelles. Il est probable que sans la machine de Gutenberg, l’impact de la réforme initiée par Luther, aurait été aussi moindre que celui des diverses «hérésies» aux revendications plus ou moins proches des celles du moine allemand qu’ont été les préréformes combattues par l’Eglise durant les siècles précédents.

Mais peut-on vraiment tirer le parallèle en imaginant qu’internet va permettre aujourd’hui comme l’imprimerie il y a cinq siècles, l’émergence d’idées nouvelles qui vont tout bouleverser? Peut-être, mais notons tout de même que jusqu’ici, le protestantisme a plutôt su tirer parti des nouveaux médias. Sans cesser d’imprimer beaucoup, les Eglises ont adopté le cinéma comme outil de mission, puis très vite la radio et la télévision. Et aujourd’hui, les offres religieuses foisonnent sur internet.

«En donnant accès aux Ecritures, la Réforme réduit la médiation du clergé dont le rôle de médiation est contesté», résumait le professeur de philosophie Marc Foglia lors d’une table ronde sur les effets sociaux de la révolution numérique organisée en 2012 par le Sénat français. «Internet poursuit un mouvement séculaire d’expansion de la connaissance», soutient-il lors de la même rencontre.

Je partage cette vision des choses: internet a permis un élargissement de «la distribution de la parole savante.» Durant la Réforme, l’autorité du clergé a été ébranlée, la diffusion des thèses des réformateurs a été facilitée, mais tout un chacun n’avait pas la possibilité de voir ses idées imprimées: le procédé restait onéreux. Durant cinq siècles, le coût de la diffusion de la pensée n’a cessé de diminuer, élargissant d’autant la facilité de diffusion de la pensée.

Aujourd’hui, internet, qui s’est imposé dans notre société en à peine quelques années, entre le milieu des années 1990 et le début des années 2000, permet à tout le monde de publier ses propos et de les rendre accessibles dans le monde entier.

Forcément, le premier usage qui en est fait est de remettre en cause les pouvoirs établis. Et c’est probablement là que se trouve là véritable différence: de réformateurs, les protestants – du moins ceux qui s’inscrivent dans une lignée historique – sont devenus un pouvoir. Et comme tous les pouvoirs, ils sont contestés par des mouvements auxquels internet donne un écho jamais égalé.

Tout comme les médias traditionnels sont en crise, puisque n’importe quel défenseur du «bon sens» ou de la théorie du complot est perçu aujourd’hui comme moins corrompu et plus crédible que le plus aguerri des journalistes; les spiritualités et religiosités de tous poils sont aujourd’hui considérées comme plus profitables à l’épanouissement personnel que ces Eglises qui ont fait tant de mal dans l’histoire.

Il en va de la tradition réformée comme de la presse ou des masses médias: leur âge d’or est passé. Ce ne sont plus eux qui dictent l’identité d’une région. D’ailleurs, qui le fait aujourd’hui? Lors de la même table ronde, le psychiatre Serge Tisseron analysait: «le passage de la culture du livre à celle des écrans est, comme l’indique les mots, un passage de l’unique au multiple. L’on ne lit qu’un livre à la fois, l’on regardera de plus en plus plusieurs écrans à la fois.»

Avant de développer sur les impacts psychologiques de la révolution numérique: «On passe d’une culture de l’identité unique à une culture des identités multiples. Pendant des siècles, tout rappelait l’individu à son identité: l’ouvrier s’habillait en ouvrier, même au bal du samedi soir. Aujourd’hui rien n’empêche de s’habiller en sportif, en académicien ou en bourgeois, voire en ouvrier, selon l’envie du moment.»

Reste que débarrassés de leur rôle de prescripteur d’identité régionale ou individuelle – et pour autant qu’ils fassent le deuil de cette fonction – les Eglises, comme les médias traditionnels ne vont pas disparaître! Ils pourront proposer une offre de plus spécifique, voire de plus grande qualité que seuls eux seront à même de proposer. 

 

Joël Burri est rédacteur responsable de Protestinfo. L’article ci-dessus, publié à son site web, a clôturé la série «L’imprimerie et la Réforme».

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